Manifeste d’un artiste vacuitaire, par Bart No-Art

Si comme moi, cher lecteur, tu adhères à l’un des principes fondamentaux du Tractatus logico-philosophicus (ce dont je ne doute guère), tu t’interroges sûrement sur la nécessité d’un tel manifeste qui au premier abord pourrait passer pour un exercice d’onanisme intellectuel. Je te réponds sans hésiter, comme l’avait fait Wittgenstein à l’époque que « tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Nous retrouvant ainsi sur un terrain d’entente (je t’écris tu me lis, consensus fort pratique dans le cas présent), je vais pouvoir enfin rentrer dans le vif du sujet. Dans cette époque sombre où pour exister aux yeux d’un public, mû par une faim insatiable de nouveautés, les artistes se voient contraints de produire toujours plus (pour gagner plus), j’ai choisi comme démarche artistique de me la toucher sévère et de ne rien produire. Soyons clair je n’ai aucun rapport avec l’anti-art des dadaïstes ou le non-art des années soixante, je ne suis ni un bandit de grand chemin ni un nihiliste, ma conception de l’art se rapproche plus de celle de Claude Galien qui disait « Ars est systema præceptorum universalium, verorum, utilium, consentientium, ad unum eumdemque finem tendentium ». Me voilà donc tiraillé entre la sagesse antique qui veut que l’art exprime une vérité partagée par tous et les affirmations des penseurs modernes qui pour la plupart déclarent que l’art éloigne de la vérité.

N’en déplaise à Nietzsche, Freud et Debord les artistes ne sont pas forcément des pleutres, des névropathes ou de vulgaires bateleurs, ils s’évertuent à rendre leur vérité universelle et de ce fait je t’en offre une à toi public : toutes ces œuvres que tu as pu contempler et que tu contempleras, celles qui t’ont fait vibrer comme celles qui t’ont donné la nausée, une chose est sûre, c’est que moi Bart, je ne les ai pas faites. Te voilà équipé, cher lecteur, d’une vérité universelle qui ne te fera jamais passer pour un sot, ainsi lorsque la jolie blonde que tu croises lors d’une exposition te demandes « mais c’est super, c’est de qui ? », tu pourras répondre sans sourciller avec un air de connaisseur averti « je ne sais pas mais c’est sûrement pas un Bart ».

Mais ce n’est pas tout, elle est aussi utile, imagine le jeune critique d’art qui doit rendre rapidement un papier sur un tableau qu’il déteste ou qui ne l’inspire pas beaucoup, au lieu de tourner en rond devant sa page toujours blanche il pourra sans hésiter signifier à ses lecteurs que « bien que cette œuvre n’ait que peu d’attrait elle a au moins celui de ne pas avoir été produite par Bart ». Te voilà comblé autant que je le suis et je ne doute pas que tu iras prêcher la bonne parole dans les milieux divers et variés que tu fréquentes, je te salue lecteur et n’oublie pas « Bart n’a pas produit ça ». Je tiens à préciser qu’aucun philosophe, artiste peintre, sculpteur ou animal n’a été blessé lors de l’écriture de ce manifeste, de plus, si tu as l’âme d’un écologiste et te pose des questions sur son bilan carbone, je te propose de le lire, le relire ou le faire lire à d’autres en retenant ta respiration tu feras ainsi un petit geste pour la planète.

Bart No-art.

Ce texte rédigé par Bart Giordana dit Bart No-Art a été publié dans le Lou Can numéro 2 sur le thème « Guerre(s) » à découvrir sur cette page.

La photo de couverture de cet article est d’après un dessin de Märta Wydler.

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